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Vendredi 11 mai, Athènes. Décontracté, Alexis Tsipras reçoit Paris Match
dans son bureau du Parlement. Son parti compte 52 députés, soit quatre
fois plus qu’au début de la crise, en 2009. |
Photo Baptiste Giroudon |
C’est une place au beau milieu
d’Athènes, baignée par la lumière du crépuscule méditerranéen. Dehors,
les vieillards et les enfants profitent de la douceur du soir. Un
Bangladais déambule et voit surgir devant lui Panos, un militant du
parti néonazi Aube dorée, en patrouille dans les quartiers populaires de
la capitale. « Dégage, connard ! Malaka ! Sois maudit ! » hurle Panos
en faisant mine de courser l’homme qui prend aussitôt ses jambes à son
cou.
Les témoins n’ont pas bronché. Les enfants continuent de jouer au
ballon sur les dalles en pierre taguées d’énormes drapeaux nationalistes
et du slogan « La Grèce aux Grecs, les étrangers dehors ». Les
vieillards, assis sur leurs bancs, à l’ombre des orangers, ont à peine
levé la tête, indifférents. La scène est habituelle. Groupuscule quasi
inconnu, Aube dorée vient de gagner presque 7 % des voix aux élections
législatives du 6 mai, faisant pour la première fois son entrée au
Parlement avec 21 députés sur les 300 que compte la chambre.
Les
extrêmes n’ont pas cessé de grimper depuis le début de la crise de la
dette grecque, en 2009. Une partie de l’électorat rejette les vieux
partis traditionnels, à cause de leur corruption ou parce qu’ils se sont
pliés à la violente cure d’austérité budgétaire – hausse des taxes et
baisse des salaires – qu’ont imposée la Banque centrale européenne et le
FMI.
Les Grecs n’en peuvent plus, et le million d’immigrés que compte
cette nation de 11 millions d’habitants font souvent figure de boucs
émissaires. « Nous ne sommes pas contre les étrangers en soi, on sait
qu’ils viennent de pays misérables, explique Evgenia Christou, la
dirigeante de la section féminine d’Aube dorée. Mais la Grèce va trop
mal pour les accueillir, on ne veut pas non plus être le dépotoir des
pays riches d’Europe qui les refoulent. » Face à la misère, Aube dorée
prospère en remplaçant les services publics déliquescents. Leurs milices
patrouillent les rues, se proposent d’escorter les vieilles dames qui
doivent aller à la banque retirer de l’argent, et organisent à présent
des soupes populaires.
« Attention, c’est seulement pour les vrais Grecs, insiste Evgenia. Si
on ne l’aide pas, cette nation si fière, qui a offert au monde Socrate
et Aristote, risque de disparaître. »
L’Antiquité traverse toute la
geste d’Aube dorée, jusqu’à son logo : le « Méandre », qui ressemble à
la croix gammée. Et si les militants qui grouillent au siège du parti
dans leurs chemises noires refusent d’être décrits comme néonazis, ils
considèrent que Hitler et les siens n’étaient eux-mêmes que des
« néo-spartiates ». Sparte, modèle de dictature militaire absolue.
Giorgos Germenis, le mari d’Evgenia, est l’un des principaux chefs du
parti. Avant d’être élu député, ce boulanger de formation était plus
connu sous son pseudonyme dans un groupe de rock sataniste : Kaiadas, du
nom de la falaise d’où l’on jetait les bébés difformes à Sparte. Le
grand chef, Nikolaos Michaloliakos, refuse à présent de rencontrer les
médias.
Lorsqu’il apparaît pour un discours devant ses partisans, sa
garde rapprochée en uniforme noir s’assure qu’aucun militant ne fait le
salut nazi avant que les journalistes n’aient été chassés. « Nous sommes
la rage du peuple grec ! » s’écrie Michaloliakos, fendant l’air de ses
gros poings. L’un des principaux dirigeants garde la porte du meeting.
Petit, les muscles moulés dans un tee-shirt noir siglé « Pitbull
Germany », Elias Kasidiaris espère que son tout nouveau statut de député
lui évitera un procès : il est impliqué dans le lynchage d’un
professeur d’université.
Athènes ressemble de moins en moins à une capitale occidentale
A
quelques rues de là, d’autres jeunes en noir sont eux aussi prêts à en
découdre. Ils traînent en bandes au coin des rues. Crêtes de punk ou
sweat-shirts à capuche rabattue. Leurs drapeaux noirs de l’anarchie sont
fixés à de grosses hampes en bois ou à des barres de fer. « On est
prévenu par Twitter que les fachos montent une attaque, alors on
surveille », explique l’un d’eux. Les passants circulent ici aussi sans
se retourner, habitués à la nouvelle violence ordinaire des rues
athéniennes. A l’ombre de l’Acropole, la ville suinte la misère. Des
clochards mangent à même les poubelles amassées.
D’autres, des hommes
âgés, vivent sur des pas de porte et tentent encore de se raser devant
un morceau de miroir brisé. Un junkie, amputé de sa jambe gangrenée,
mendie de la nourriture, slalome en chaise roulante entre les voitures
arrêtées aux feux rouges. Matrice historique de l’Europe, Athènes
ressemble de moins en moins à une capitale occidentale et de plus en
plus à une ville orientale.
Les vendeurs ambulants installent leurs
étals en pleine rue pour des marchés informels. Personne ne semble
prendre la peine d’effacer les innombrables graffitis sur les murs des
immeubles nés d’un urbanisme anarchique. Les escouades de policiers en
tenue antiémeute patrouillent à moto en permanence. Mais aucun ne dresse
de PV contre les conducteurs de scooters qui circulent sans casque. Et
malgré la loi antitabac, on continue de fumer jusque dans les couloirs
de l’Assemblée nationale…
Depuis les élections anticipées du 6 mai, l’ambiance est électrique dans
l’élégant bâtiment néoclassique où siège le Parlement. En vain, les
chefs des grands partis se sont réunis toute la semaine pour tenter de
former une coalition. Le psychodrame à l’athénienne s’achève quand un
jeune homme claque la porte et s’en va d’un pas leste. Sans cravate mais
avec son habituel sourire de vainqueur aux lèvres. Il vient de refuser
de se joindre à un gouvernement d’unité nationale. Et, sans lui, la
création d’un nouveau gouvernement est presque impossible.
A 37 ans,
Alexis Tsipras a conduit son parti de la gauche radicale à son plus gros
succès lors des législatives. Syriza est maintenant le deuxième parti
de Grèce avec 16,78 % des voix et 52 députés à l’Assemblée. Au cœur de
son programme, l’abandon des mesures d’austérité. Ingénieur de
formation et militant gauchiste, Tsipras est le nouvel homme pivot de la
politique grecque. Il ne compte soutenir aucun gouvernement qui
maintiendrait les réductions budgétaires. « Je ne trahirai pas le
mandat que m’a clairement confié le peuple », proclame-t-il. Au risque
de provoquer la possible faillite financière de l’Etat et de faire
sortir la Grèce de l’euro.
Paris Match. La Grèce semble au bord du gouffre. Comment expliquez-vous qu’on en soit arrivé là ?
Alexis Tsipras.
Ce n’est pas un simple accident de parcours, c’est un moment
historique, pour la Grèce et pour toute l’Europe. Nous sommes au cœur
d’une crise du système, d’une crise du modèle de l’économie de marché,
dont l’ampleur n’a pas beaucoup d’équivalent dans l’Histoire. Nous
n’avons pas vécu ça depuis 1929. A l’époque, l’Amérique et l’Europe
n’ont pas fait les mêmes choix. Aux Etats-Unis, Roosevelt a opté pour le
New Deal et une politique forte de croissance pour soutenir l’emploi.
L’Europe n’a pas choisi cette voie et, à la place, on a vu la montée du
nazisme.
(..)
Vous donnez l’impression d’être seuls dans l’adversité, mais le plan
de soutien financier à la Grèce n’est-il pas la preuve d’une solidarité
européenne ?
La vérité, c’est qu’à cause des erreurs tragiques
des gouvernements précédents, la Grèce s’est trouvée, injustement, dans
l’œil du cyclone. Du coup, le peuple grec a été soumis à des remèdes
pires que le mal. Nous sommes devenus les rats de laboratoire de la
crise financière mondiale. Les grands pays regardent les résultats de
cette expérience. Si le remède marche sur nous, les rats, on exportera
la recette pour l’appliquer aux autres nations d’Europe. Si elle
échoue, tant pis pour les Grecs.
(...)
Ne craignez-vous pas que l’extrême droite ne gagne encore du terrain aux prochaines élections ?
Le
résultat des néonazis nous a tous surpris, mais ce n’est que
l’expression du très grand malaise de la société grecque. C’était un
vote anti-politique. Beaucoup de gens n’avaient pas vraiment compris qui
se cachait derrière les slogans populistes. Maintenant que les
électeurs découvrent qui sont vraiment ces gens, je pense qu’ils seront
beaucoup moins nombreux à les élire.
parismatch.com